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Palaisie

Je me sens comme une maison sans murs.

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D’aussi loin que je me souvienne, le bruit a toujours fait partie de mon quotidien. Non pas les sons urbains qui s’apparentent à ceux d’autres humains, mais les sons des choses, des objets, de la nature, de ce qui paraît inanimé et passif, mais qui recèle pourtant des mouvements insoupçonnés, une vie qui fait craquer, crisser, exploser, claquer, gratter.

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Les vieilles maisons ont des chansons à nulle autre pareilles :

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Le bois des poutres craquant comme les chevilles de mon père ;
les graviers de la cour crissant sous les pneus de la voiture de ma mère ;
l’orage dans la nuit explosant contre la fenêtre de ma chambre ;
le chauffage claquant dans mon radiateur ;
les rongeurs grattant le mur près de mon lit ;

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… sont autant de souvenirs que ceux que je garderais d’un voyage ou d’un concert. Et quand j’entends un de ces sons par hasard, je retombe en enfance. L’accoutumance, si elle est travaillée aussi longtemps, a beau s’estomper, elle ne fond jamais complètement. Elle continue de réfléchir des sensations anciennes, des intuitions perdues.

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L’habitude a la peau dure, mais qu’est-ce qui la différencie de la préférence, quand elle ne pousse pas à la stagnation, mais qu’elle réconforte en faisant surgir par surprise un bout de déjà-vécu ? Qu’elle transporte avec elle l’authenticité de l’expérience ? Quand sa peau est dure, oui, mais translucide ?

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J’ai l’habitude d’entendre les vieilles maisons émettre des sons étranges, donc je ne m’en étonne pas. Il m’a même été donné parfois de porter leur message, et de dire : « Oh non, n’aie pas peur, c’est leur langage. Il faudra faire avec ». Mais « faire avec », c’est un peu ignorer. Heureusement qu’existe le futur, on peut toujours compter sur lui pour nous rappeler, avec des milliards de pensées de retard, ce qui importe vraiment.

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Cette mémoire est tant. Elle est l’empreinte que des milliers d’autres ont agrandie avant soi, et dans laquelle on ne manque pas de marcher aussi, par moments. Peu de choses, alors, sont exclusives, si leur tout premier nid n’était pas bien caché à l’abri de la lumière, à l’ombre du crâne. Ce sont ces idées, ces réalités qu’on se crée, les échos des chansons qui brillent sous le couvercle osseux, ces petits riens qui ne sont perçus que par soi, et qui conservent dans notre cerveau l’idiosyncrasie des détails importants, ceux qui changent une vie, une seule. De ce qui ne peut pas se dire.

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Pour cette mémoire-là, je me suis construit un palais ; un palais de bruits, puisqu’ils sont à mes oreilles ce que les murs sont aux yeux. Parfois repères, parfois prisons.

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